Apothéose

C'est bien fait, ô ma soeur, Et je succombe, Mais avec la douceur D'une colombe. 5 En noyant ma raison Dans mon extase, J'ai béni le poison Et le beau vase. Même, j'ai traversé 10 Sans épouvante L'heure où tu m'as versé L'horreur vivante. J'ai bu le flot profond Avec délice; 15 L'ivresse était au fond Du noir calice. Je te donne à présent, (Car je t'adore!) Le laurier verdissant 20 Qui me décore. Arraché par mes vers A l'onde noire, Mes chants à l'univers Diront ta gloire. 25 Près du ciel azuré Qui nous menace, Joyeux, je t'assoierai Sur le Parnasse. Là, recueillant le fruit 30 De mon délire, Ta voix sera le bruit Que fait ma lyre; Et tu joueras, enfant Né de Thalie, 35 Dans le flot triomphant De Castalie. Dans les bois écartés, Ces lèvres roses Jetteront des clartés 40 D'apothéoses; Mon sang versé par jeu, Sainte blessure! Sera la pourpre en feu De ta chaussure; 45 Et, comme en ce dessein Je t'ai choisie, Tu laveras ton sein Dans l'ambroisie. Mais, couronnant ton front 50 Pur de souillure, Des rayons d'or seront Ta chevelure; Et tes yeux, où sourit Ma douleur morte, 55 Reflèteront l'esprit Qui me transporte. O ma divinité Victorieuse, Pendant l'éternité 60 Mystérieuse, Tes yeux, insoucieux De nos désastres, Seront comme des cieux Éclatants d'astres. Février 1861.

AMÉTHYSTES -- Table des Matières
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