Les Forgerons

Rhythmé par le marteau sonore, Le chant joyeux des forgerons S'envole à grand bruit vers l'aurore, Plus fier que la voix des clairons. [Jean et Jacques.] 5 La forge mugissante allume Nos fronts par la bise mordus, Et son reflet parmi la brume Chasse les corbeaux éperdus. De la Noël au jour de Pâques, 10 Nuit et jour, c'est comme un enfer. [Jacques.] Mon frère Jean, [Jean.] Mon frère Jacques, [Jacques.] Soufflons le feu! [Jean.] Battons le fer! [Jacques.] Fer grossier que la cheminée Couvre ici de son noir manteau, 15 Jusqu'à la fin de la journée Tremble et gémis sous le marteau! [Jean.] Pour subir ta métamorphose, Tu vas sortir, obscur encor, De la fournaise ardente et rose, 20 Au milieu d'une gerbe d'or! [Jacques.] Puis tu seras l'âpre charrue! Tu répandras sur les sillons La moisson blonde, que salue Le choeur ailé des papillons. [Jean.] 25 Tu seras le coursier de flamme, Le coursier terrible et sans peur Qui dans ses flancs emporte une âme De charbon rouge et de vapeur. [Jacques.] Tu seras la faux qui moissonne, 30 Tu courberas le seigle mûr, Cette mer vivante où frissonne L'écarlate et la fleur d'azur. [Jean.] Lumière, d'ombre enveloppée, Tu renaîtras au grand soleil; 35 Tu seras le fer de l'épée Qui se rougit de sang vermeil. [Jacques.] Ton destin vil enfin s'élève! Tu vas surgir dans la clarté, Pour te mêler, charrue ou glaive, 40 A la mouvante humanité! [Jean.] Tu frémiras pour la justice! [Jacques.] Tu serviras à déchirer Le sein de la terre nourrice. [Jean.] Tu vas combattre [Jacques.] Et labourer! Octobre 1859.

LES EXILÉS -- Table des Matières
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