A Élisabeth


     Hélas! qu'il fut long, mon amie,
          T'en souvient-il?
     Ce temps de douleur endormie,
          Ce noir exil

5    Pendant lequel, tâchant de naître
          A notre amour,
     Nous nous aimions sans nous connaître!
          Oh! ce long jour,

     Cette nuit où nos voix se turent,
10        Cieux azurés
     Qui voyez notre âme, oh! qu'ils furent
          Démesurés!

     J'avais besoin de toi pour vivre;
          Je te voulais.
15   Fou, je m'en allais pour te suivre,
          Je t'appelais

     Et je te disais à toute heure
          Dans mon effroi:
     C'est moi qui te cherche et qui pleure.
20        Viens. Réponds-moi.

     Hélas! dans ma longue démence,
          Dans mon tourment,
     J'avais tant souffert de l'immense
          Isolement,

25   Et de cacher mon mal insigne,
          Émerveillé
     De gémir tout seul, comme un cygne
          Dépareillé;

     J'étais si triste de sourire
30        Aux vains hochets
     Dont s'était bercé mon délire;
          Et je marchais,

     Si las d'être seul sous la nue,
          Triste ou riant,
35   Que je ne t'ai plus reconnue,
          En te voyant.

     Et je t'ai blessée et meurtrie,
          Et je n'ai pas,
     Au seuil de la chère patrie,
40        Baisé les pas

     De l'ange qui dans la souffrance
          A combattu,
     Et qui me rendait l'espérance
          Et la vertu!

45   O toi dont sans cesse mes lèvres
          Disent le nom,
     Pardonne-moi tes longues fièvres,
          Tes pleurs! mais non,

     J'en cacherai la cicatrice
50        Sous un baiser
     Si long et si profond qu'il puisse
          Te l'effacer.

     Je veux que l'avenir te voie,
          Le front vainqueur,
55   Serrée et tremblante de joie
          Près de mon coeur;

     Écoutant mon ode pensive
          Qui te sourit,
     Et me donnant la flamme vive
60        De ton esprit!

     Car à la fin je t'ai trouvée,
          Force et douceur,
     Telle que je t'avais rêvée,
          Épouse et soeur

65   Qui toujours, aimante et ravie,
          Me guériras,
     Et qui traverseras la vie
          Entre mes bras.

     Plus d'exil! Vois le jour paraître
70        A l'orient:
     Nous ne sommes plus qu'un seul être
          Fort et riant,

     Dont le chant ailé se déploie
          Vers le ciel bleu,
75   Gardant, comme une sainte joie,
          L'espoir en Dieu,

     Poursuivant, sans qu'on l'avertisse,
          L'humble lueur
     Qu'on nomme ici-bas la justice
80        Et le bonheur,

     N'ayant plus ni regrets ni haine
          Dans ce désert,
     Et se ressouvenant à peine
          Qu'il a souffert.

85   Oui, je t'ai retrouvée, et telle
          Que je t'aimais,
     Toi qui, comme un miroir fidèle,
          Vis désormais

     Ma vie, et je t'aime, je t'aime,
90        Je t'aime! et pour
     L'éternité, je suis toi-même,
          O cher amour!

        9 novembre 1866.

LES EXILÉS -- Table des Matières
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