Rue de l'Éperon

A H. Giacomelli Mon jardin est situé rue De l'Éperon. Il est joli Comme une oasis, apparue En rêve, ô Giacomelli! 5 Devant son ombre taciturne Où le soleil vient par éclairs, Les vieux arbres géants de Furne Dressent leurs beaux feuillages clairs. Joignant leurs branches familières, 10 Vivaces comme les abus, Sur la maison grimpent deux lierres Impérieux, aux troncs barbus. Parfois même ils font une ligne Droite, jusque chez le voisin, 15 Et près d'eux s'étale une vigne Qui ne produit pas de raisin. Elle s'offre au jour qui la fête Et rit avec frivolité, Car tout porte, chez le poëte, 20 Ce cachet d'inutilité. Mes rhododendrons s'aguerrissent, Et quant à mes sveltes lilas, D'abord, une année, ils fleurissent, Puis, l'autre année, ils sont trop las. 25 Pour mes roses ambroisiennes, Elles ont dans leur teint vermeil Des pâleurs de Parisiennes Trop oublieuses du sommeil. Puis, dédaignant les ritournelles, 30 Mille oiseaux, devant mon palais, Improvisent des villanelles, Des rondeaux et des triolets, Et fuyant les rimes d'Alzire, Ils en font un recueil entier 35 Que publiera, s'il le désire, Notre ami Georges Charpentier. L'oeil irisé comme une perle, Fin comme un pastel de Renoir, Sous les arbustes flâne un merle 40 Du meilleur monde, en habit noir. Austère et lisse, il doit écrire Dans quelque Journal des Débats, Où l'on trouve bien de quoi frire; Il est correct, il a des bas. 45 C'est un seigneur, du cant esclave! Mais l'oiselet musicien Dit: Évitons cet oiseau grave, C'est un académicien. Juillet 1879.

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