Anna

A Jacques Madeleine C'est ainsi que le Temps nous les métamorphose Et ce tas d'ombre fut une déesse rose; Dans la sombre améthyste on gravait ses profils, Et le Désir restait captif dans ses grands cils. 5 Oui, c'est Anna! Regarde, ô Jacques Madeleine, Ce monstre grelottant dans son haillon de laine. Les ennuis éternels grincent, inapaisés, Sur sa bouche entr'ouverte où nichaient les baisers. Cette vieille, qui fut jadis pleine de gloire, 10 Est terne et sans couleur, comme la terre noire; Ses cheveux sur son front meurtri par le remords Tombent sinistrement comme des serpents morts; Vain débris que par jeu la Misère effiloque, Son corps et ses habits ne sont plus qu'une loque. 15 Errant comme une chienne au fond de la Cité, Ce spectre de folie et de lubricité Tache encor la laideur du sombre paysage. On devine pourtant sur ce morne visage Où dorment les vieux lys dans l'ombre ensevelis, 20 On entrevoit parmi ses rides et ses plis Comme un vague reflet de la splendeur première Qui jadis le baignait d'une chère lumière Du temps que ses yeux bleus réfléchissaient le jour, Et l'ancien coup de griffe horrible de l'Amour.

TABLE -- Table des Matières
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