L'Histoire

Bismarck en soldat qu'on redoute Parle, et, sans le contrarier, L'austère Déesse l'écoute, Pensive sous son vert laurier. 5 -- Oui, dit le chancelier, en somme, Berger ou comte palatin, Monarque ou mendiant, tout homme Est l'artisan de son destin. Qu'il porte la pourpre ou la bure, 10 Pauvre ou détenteur d'un trésor, Qu'il soit né dans la foule obscure Ou sur le trône aux franges d'or, Ses oeuvres, dont il est le maître Et dont il n'a pas hérité, 15 Décideront ce qu'il doit être, Même pour la postérité! Cet assassin à tête blonde Qui prend la lyre d'Arion, Néron, quoique maître du monde, 20 N'est qu'un insipide histrion. Alexandre suit sa chimère Comme un soldat sans feu ni lieu, Et cependant l'aveugle Homère De mendiant devient un dieu. 25 On ne saurait tromper la gloire Devant l'avenir indigné. Que devient un titre illusoire Si nous ne l'avons pas gagné? Murat, qui, d'un geste bravache 30 Voulant fendre en deux les cieux clairs, Va, faisant siffler sa cravache Parmi la foudre et les éclairs, Qu'est-il pour la France hautaine, Pour cette guerrière aux yeux bleus? 35 Un roi? non; mais un capitaine, Un vague Roland fabuleux, Un courtisan de l'aventure. Et Marceau, tenant dans sa main Son épée invincible et pure, 40 Est plus grand qu'un César romain! C'est pourquoi, Déesse, si j'ose Agir comme un roi, je suis roi, Créant ma propre apothéose! Bismarck, par ces mots qui font loi, 45 D'une manière péremptoire Achève sa péroraison. -- Brigadier, lui répond l'Histoire, Brigadier, vous avez raison! Octobre 1870.

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