A la Patrie

Oui, je t'aimais, ô ma Patrie! Quand, maîtresse des territoires, Tu menais de ta main chérie Le choeur éclatant des Victoires; 5 Lorsque, souriante et robuste Et pareille aux Anges eux-mêmes, Tu mêlais sur ta tête auguste Les lauriers et les diadèmes! Vivant passé, que rien n'efface! 10 Les peuples, ô grande ouvrière, N'osaient te regarder en face Dans ta cuirasse de guerrière; Et toi, retrouvant dans ton rêve L'âme de Pindare et d'Eschyle, 15 Tu portais, sans laisser ton glaive, La lyre des Dieux, comme Achille! Calme sous l'azur de tes voiles, Et multipliant les prodiges, Tu pouvais semer des étoiles 20 Sur les rênes de tes quadriges; On louait ta blancheur de cygne Et ton ciel, dont la transparence Charme tes forêts et ta vigne; On disait: Voyez! c'est la France! 25 Oui, je t'aimais alors, ô Reine, Menant dans tes champs magnifiques Brillants d'une clarté sereine Tous les triomphes pacifiques; Mais à présent, humiliée, 30 Sainte buveuse d'ambroisie, Farouche, acculée, oubliée, Je t'adore! Avec frénésie Je baise tes mains valeureuses, A présent que l'éponge amère 35 Brûle tes lèvres douloureuses Et que ton flanc saigne, -- ma mère! Novembre 1870.

IDYLLES PRUSSIENNES -- Table des Matières
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