Un vieux Monarque

Un monarque aux favoris blancs, Turbulent, ivrogne et féroce, Affronte les passants tremblants Et gonfle sa poitrine en bosse. 5 Il est rouge comme du vin. -- Par Bacchus! dit-il, on me brave! Moi le héros, l'homme divin! Moi le vainqueur! moi, le burgrave! Moi le vieux qui, depuis longtemps, 10 Ai conquis, montrant ma semelle, L'Europe et tous ses habitants, Et les enfants à la mamelle! Moi qui puis à mon gré vêtir Le bleu riant que chacun flatte, 15 Ou la vieille pourpre de Tyr, L'azur céleste ou l'écarlate! Voyez, j'ouvre mon calepin Enjolivé d'or et de nacre; Qui veut perdre le goût du pain? 20 Qui faudra-t-il que je massacre? Qui donc m'a causé cet ennui? Son destin irrémédiable Est de périr dès aujourd'hui, Je le tuerai, fût-ce le diable! 25 Or savez-vous qui parle ainsi D'une voix rauque et solennelle Qui monte parfois jusqu'au si? C'est le seigneur Polichinelle. S'il a pris cet air espagnol 30 De fou décrochant une étoile, C'est qu'il regrette son Guignol, Son palais, sa maison de toile, Dont un large obus éperdu A massacré la vieille gloire, 35 L'autre jour, au beau milieu du Carrefour de l'Observatoire. Janvier 1871.

IDYLLES PRUSSIENNES -- Table des Matières
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