LVIII Don Juan

Voilà don Juan de retour Et, sous les traits de Lassalle, Ce grand ouvrier d'amour Étonne et ravit la salle. 5 Esprit où rien n'est sans art, Pour ouvrir tous les calices, C'est la langue de Mozart Qu'il parle avec ses délices. Et la Femme, être qui sait 10 Tout ce qu'elle s'assimile, Dit tout bas: Quel vainqueur c'est! Il en a caressé mille! Mesdames, non, mille trois! Prises sur toutes les routes. 15 Certes, dans nos coeurs étroits Elle ne tiendraient pas toutes; Mais toi, don Juan, que tua Le blanc commandeur de marbre, Tu pouvais, Gargantua, 20 Manger tous les fruits d'un arbre Et ceux de tout un verger! Heureux de ces amalgames, Tu menais, comme un berger, Le pâle troupeau des femmes. 25 C'est l'infini que tu bois! Tu les trouvais toutes douces: Comme les feuilles d'un bois, Brunes, ou blondes, ou rousses. Rien ne te fut importun, 30 Ni la duchesse pensive, Ni la vachère au front brun Lavant ses pieds dans l'eau vive. Tu pouvais, monstre adoré, Déchirer ta folle trame; 35 Mais quand on a respiré La grisante odeur de femme Parmi des milliers d'amours Et des milliers d'amourettes, Cela vous cherche toujours: 40 C'est comme les cigarettes! 7 février 1884.

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