XCV Le Palais-Royal Strophes dites par mademoiselle Maria Legault le 14 septembre 1880 pour l'inauguration de la nouvelle salle Direction Briet et Delcroix.

Toi que le caprice emporte, Public parisien, tu Ne t'es pas trompé de porte: Écoute mon impromptu. 5 Ce palais où tout flamboie, Riant comme un prairial Plein de lumière et de joie, C'est bien le Palais-Royal. -- Oui, viens chez toi, foule aimée! 10 Après les temps révolus, La vieille salle enfumée Est morte: n'en parlons plus. L'architecte Paul Sédille A paré de cent trésors 15 Ce gai boudoir où tout brille, Les lys, la pourpre et les ors. Notre plafond, comme un astre, Rit, par tes yeux savouré; Le savant peintre Lavastre 20 Broda son dôme ajouré, Et dans l'air, qui s'extasie, Lança, d'un vol indompté, Le Rire, la Fantaisie, La Chanson, la Volupté. 25 Partout des apothéoses, Des enfants ensorceleurs, Des feuillages et des roses, Des ruissellements de fleurs, Et, dans leurs jeux téméraires 30 Et leurs fiers ébats, Dalou A sculpté partout les frères De l'Amour, ce gai filou. O Comédie! ô Folie! Qui riez sur les néants, 35 Sa main, pour charmer Thalie, Modela vos fronts géants, Et, souffletant nos augures, Vers un avenir voilé Vous volez, saintes figures, 40 Dans l'idéal étoilé! Puis dans un cartel mystique S'inscrit, au front du palais, Le miraculeux distique Du grand aïeul Rabelais. 45 Car c'est lui que veulent suivre Nos auteurs, sans orgueil vain, Et c'est lui qui les enivre Avec son généreux vin. Nos pères, dans leur souffrance, 50 Buvaient ce vin écumeux Qui désaltéra la France, Et nous le boirons comme eux! C'est ici qu'en son délire, S'ouvrit aux grands histrions 55 La chère maison du Rire: Donc, ô mes amis! rions. Notre passé fut si riche! Et, sans nul doute, on connaît Nos maîtres: Sardou, Labiche, 60 Et Meilhac, et Gondinet; Halévy, plein de finesse; Siraudin et Delacour, Thiboust, sourire et jeunesse De la muse de l'amour! 65 Puis, sous la clarté des lustres, La comédie eut chez nous Ses bouffons les plus illustres: O souvenir triste et doux! Autrefois, jeune et frivole, 70 C'est ici que Déjazet Égrenait sa chanson folle, Et, comme un ruisseau, jasait. Achard, qui charma la ville, Tousez, qui n'était pas sot, 75 Leménil, le bon Sainville, Et Levassor, et Grassot; Gil Pérès, hélas! Thalie A chéri ces grands railleurs Pleins de verve et de folie; 80 Moi, j'en passe, et des meilleurs, Mais Émile Bayard groupe Sur un panneau triomphant Toute l'immortelle troupe Qui commence à Mars enfant, 85 Et qui posséda naguère Ces rois de notre métier Armés pour la grande guerre: Samson, Régnier et Potier! Puis, de cette époque sainte, 90 Ingénieux et malin, Reste le bon Hyacinthe Avec son nez aquilin; Et celui qui te déride, Le grand, le vrai sage, effroi 95 De la bêtise candide: L'inimitable Geoffroy; Geoffroy, qui jette et secoue Sur les types qu'il revêt Tant de lumière, et qui joue 100 Comme Molière écrivait! Et de tant de gloire éparse Demeure aussi Lhéritier, Qui des princes de la farce Est le fidèle héritier! 105 Puis, cher public qui m'accueilles, Après les glorieux noms Envolés comme des feuilles, Tremblants d'espoir, nous venons. Exempts de toute humeur noire, 110 Tu nous verras toujours gais, Très sûrs de notre mémoire, Contents, jamais fatigués. Nous mettrons dans nos programmes Tout, hors le genre ennuyeux. 115 C'est à toi seul que nos femmes Feront ici les doux yeux. Oui, nous ferons pour te plaire Un effort quotidien; Mais donne-nous pour salaire, 120 Ami, ce que tu sais bien, Et, par un doux bruit sonore Charmant notre essai loyal, Dis que nous sommes encore Ton bon vieux Palais-Royal! 8 septembre 1880.

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