A Arsène Houssaye

Grace aux Dalilas, Nos rimeurs sont las De gloire, Et, comme un hochet, 5 Ont jeté l'archet D'ivoire! Au rhythme ailé d'or Il fallait encor Un maître 10 Fou de volupté, Alors j'ai dompté Le Mètre! J'ai repris mon luth, Et, suivant le but 15 Féerique, Je m'en vais cherchant Le secret du chant Lyrique. Oeil épanoui, 20 Je peins ébloui Ou triste, Le ciel radieux, Et, mélodieux Artiste, 25 Près du fleuve grec Murmurant avec Les cygnes Fiers de leur candeur, Je dis la splendeur 30 Des lignes. Mon vin triomphant, Sais-tu quelle enfant Le verse? Viens, et tu verras, 35 Poëte, quel bras Me berce! O chasseur altier, Qui fuis le sentier Profane, 40 Songeur qu'autrefois Rencontrait au bois Diane! Comme toi, qui vins Si jeune aux divins 45 Rivages, Ami, j'ai toujours Voulu des amours Sauvages. Ah! quand Mai sourit 50 Aux prés où fleurit La menthe, Trouveurs de loisir, Sachons y choisir L'amante! 55 Nymphe au regard bleu, Si sa lèvre en feu Caresse Nos fronts sans témoins, Qu'elle soit au moins 60 Déesse! Toi, pâle et rêvant, Au bois que le vent Assiège, Tu suis à dessein 65 La guerrière au sein De neige! Moi, parmi nos jeux, Mon plus orageux Délire 70 Toujours s'en revient Vers celle qui tient La lyre! Sans doute elle a pris La foule en mépris, 75 Et porte Un peu trop souvent Sa crinière au vent. Qu'importe! J'aime sa pâleur, 80 Et sa bouche en fleur Est saine! Son sang et sa chair Les voilà, mon cher Arsène. 85 O sens embrasés! Maîtresse aux baisers Savante! Tendre et chère voix, Ici tu la vois 90 Vivante. Dos flexible et nu! Sourire ingénu Qui m'aime! L'or de ses cheveux 95 M'enivre, et je veux, De même, Dans mon sang qui bout Gardant jusqu'au bout Ma fièvre 100 Tout comme à présent, Mourir en baisant Sa lèvre! Mai 1855.

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