Feuilles mortes

Eh bien! si dans mes jours arides Tout fut mensonge et vanité, Je vois ton calme front sans rides Que pare la sérenité. 5 Mère toujours belle et chérie, Qui m'as donné l'espoir, la foi, L'amour, ma voix souvent flétrie Est jeune pour parler de toi! Parmi le tumulte des choses 10 Les jours peuvent fuir pas à pas En effeuillant nos pâles roses; Les ans ne te veillissent pas. Et laisse-moi que je t'admire! Sur ton visage qui sourit 15 D'un imperceptible sourire, Brille la flamme de l'esprit. O mère, par qui fut bercée Mon enfance, (le temps moqueur En passant l'a vite froissée,) 20 Mère adorable de mon coeur! Ton regard où le mien se noie, Après tant de jours égrenés, Reste encor la meilleure joie De ces yeux que tu m'as donnés. 25 Mère, le mot qui nous console De nos trésors anéantis, C'est toujours la même parole Qui nous endormait tout petits. Je m'enivrais, ô cher mensonge! 30 D'espoirs vainement caressés. Que me reste-t-il, quand j'y songe? Tu m'aimes! c'est bien. C'est assez. Je suivais l'ombre insaisissable; J'ai vécu, j'ai chanté mes vers, 35 J'ai fait des escaliers de sable Pour atteindre les rameaux verts! Mes il fallait des mains plus fortes, Et mon bras, vers le ciel tendu, N'a trouvé que des feuilles mortes 40 Au lieu du laurier attendu. Ici-bas, où rien ne s'achève, Où chaque espoir tombe et s'enfuit, Toutes le roses de mon rêve, S'effeuillent, au vent de la nuit; 45 Mais ce bien charmant et suprême, Ce talisman qui me défend, Ton amour est resté le même Pour moi, ton fils, non, ton enfant. 16 février 1863.

ROSES DE NOEL -- Table des Matières
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