Comme un jour

O mère, agenouillé sous tes chères prunelles, Je dis à Dieu: Seigneur des clartés éternelles, Puisqu'elle a tant pleuré, mon Dieu, bénissez-la! Puisque sa chère fille à vos pieds s'envola, 5 Pendant ce long tourment des heures douloureuses, Accordez-lui par moi des minutes heureuses! Ainsi je prie ayant, comme un bon ouvrier, Le désir de gagner quelque brin de laurier Pour parer de renom ta vieillesse adorée; 10 Je voudrais, conquérant l'immortelle durée, Que fleurissant toujours malgré les noirs hivers, Ta mémoire pût vivre à jamais dans mes vers. Et pour moi, qui te dus cette grâce de naître Poëte, quand ton souffle a pénétré mon être, 15 Alors que je te tiens serrée entre mes bras J'oublie en un moment la haine des ingrats, Les peines, les soucis de cette courte vie, Et la gloire d'un jour vainement poursuivie, Et je me trouve heureux, puisque je me souviens, 20 Qu'au milieu de tes maux désolés et des miens, Nous avons conservé dans notre vie obscure Notre affection vraie, indestructible et pure, Et que nous la gardons comme un clair diamant; Et que tu répandis infatigablement, 25 Ainsi que d'une coupe inépuisable et douce, Mère, sur mon coeur fier et que rien ne courrouce, Tes consolations, ton adorable amour, Et que ce demi-siècle a passé comme un jour! 19 novembre 1871.

ROSES DE NOEL -- Table des Matières
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