Louanges d'Aurélie

Toi qui rêvas parmi les lys, Avec le sylphe et les willis Pour coryphées, Et la rosée en diamants, 5 Un théâtre pour les amants Et pour les fées! Je sais, poëte du roi Lear, Une femme qui fait pâlir Toutes les flammes 10 Dont ta noble main couronna Juliette et Desdémona, Ces blanches âmes! Elle avait au front moins de fleurs, Celle que, d'amour et de pleurs 15 Tout arrosée, La lune rêveuse, en songeant, Couronnait de rayons d'argent Et de rosée. Elle avait moins de doux regards, 20 Celle qui, les cheveux épars Sur son épaule, Blanche comme un camellia, A sa servante Émilia Chantait le Saule! 25 Il est moins agréable au ciel, Cet ange qu'un chant immortel Toujours caresse, Cet inestimable joyau Sur lequel pleure Olympio 30 Dans sa tristesse! Et toi, mon maître, ô fier Ronsard, Enthousiaste du doux art, Amant d'Hélène, Qui jadis nous émerveillais 35 Sur les roses et les oeillets De son haleine! Celle que je chante en ces vers T'eût donné, sous tes lauriers verts, Plus de délire 40 Qu'il n'en fallut pour mettre au jour Les cent filles de ton amour Et de ta lyre. Car cette maîtresse aux beaux yeux Dans un poëme harmonieux 45 N'est pas éclose, Ni dans ton marbre, ô Phidias, Ni dans les grands yeux de Diaz Ivres de rose! C'est une femme aux yeux plus doux, 50 Vivante et qui peut, comme nous, Dire: Je t'aime, Mais qui sur son front sidéral Porte le rhythme et l'idéal Comme un poëme. 55 Ce n'est pas un rêve charmant Qu'il faudra pleurer en fermant Quelque cher livre, Et cet ange aux ongles d'onyx, Plus beau que Laure et Béatrix, 60 On le sent vivre! On entend, parmi le satin, Battre son coeur sous son beau sein Dans sa poitrine, Les rossignols, pleins de doux chants, 65 Peuvent écouter dans les champs Sa voix divine, Et quand elle s'arrête au bois Pour écouter sourdre les voix De la nature, 70 A travers les arbres du parc, Les Naïades admirent l'arc De sa ceinture! Le soir, à cette heure de feu Où se pâme sous le ciel bleu 75 La tubéreuse, La Nuit humide de parfums Se mire dans ses grands yeux bruns, Tout amoureuse; Et les extases du soleil 80 Emplissent les airs d'or vermeil Et d'harmonies, Quand les beaux châles d'Orient Murmurent sur son cou riant Leurs symphonies! 85 Car c'est pour orner ses beaux reins Que le pays des Dieux sereins Aux mains fleuries Semble dans un tissu changeant Tramer avec l'or et l'argent 90 Les pierreries! O beau songe! sonnet vivant! Calice entr'ouvert que le vent Jamais ne fane! Sa main blanche comme le lait 95 Passe à travers le bracelet D'une sultane! Je vois sous les pâles duvets Ses veines couleur des bleuets Et des pervenches, 100 Ses ongles dignes de Scyllis, Ses bras aussi blancs que les lys, Ses mains plus blanches! Et mon âme pleine et sans fond, D'où parfois à mon oeil profond 105 Monte une larme, Partout attirée à la fois, Demeure tremblante et sans voix Sous tout ce charme! Tels nous sentons, irrésolus, 110 De vivants désirs, qui n'ont plus Rien de physique, Couler en nous comme des flots Avec le rhythme et les sanglots De la musique. Mai 1846.

LE SANG DE LA COUPE -- Table des Matières
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