XXVI Tour Eiffel

Tour Eiffel, grandis, monte encore Dans la lumière et dans l'aurore, Dans les éthers silencieux. Née entre les pieds noirs d'Hécate, 5 Monte, grande fleur délicate, Mets ton front dans les sombres cieux. Car un génie au coeur de flamme Fouille la terre jusqu'à l'âme Et jusqu'aux portes de l'enfer, 10 Et pour préparer à la France Le nid joyeux de l'espérance, Le tresse avec des brins de fer. Oui, sois de plus en plus géante, Et devant la foule béante 15 Que charmeront tes fils vermeils, Apparais, de clarté baignée, Comme une toile d'araignée Où vont se prendre les soleils. Pendant les prochaines semailles, 20 Luis, resplendis avec tes mailles, Brille, joyau prestigieux Et séduis l'oeil par ta caresse, Filigrane ajouré, que tresse Un orfèvre prodigieux. 25 On verra, dans leurs vols énormes, Accourir vers tes plates-formes Le hardi faucon, le gerfaut, Les vautours, les aigles voraces; Mais en contemplant ces terrasses, 30 Ils trouveront que c'est trop haut. Monte encor, Tour démesurée! Le dieu de la mer azurée Et de l'ouragan libyen, Dit à l'équipe ralliée 35 De Babel réconciliée: Venez, à présent. Je veux bien. La Tour grandit et, sur son faîte, Invincible, dressant la tête, L'Homme ouvrant tout grands ses yeux clairs, 40 Pourra, dans ses jeux ordinaires, Prendre dans ses mains les tonnerres Et jouer avec les éclairs. Car, autrefois chaste et jalouse, Maintenant, la Science épouse 45 L'Homme et, regardant l'Orient, Pour lui déchire tous les voiles Qui lui dérobaient les étoiles, Et baise sa bouche, en riant. Sans craindre que rien la meurtrisse, 50 La Science libératrice, Dans sa main tenant une faux Que l'on ne voyait pas naguère, Moissonnera les deuils, la guerre, Les canons et les échafauds. 55 Tour, grand lys fleuri dans l'espace, Colosse de force et de grâce! Épouvantant le doute amer, Les certitudes et l'extase Reviendront caresser ta base, 60 Comme les vagues d'une mer. Et, malgré le vent, qui s'effare, Ton veilleur, auprès de son phare, A l'heure divine où le bruit S'éteint dans la nature fée, 65 Entendra la Lyre d'Orphée Guider les astres, dans la nuit. 8 janvier 1889.

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