XLIII Pégase

Le poëte qui dans l'extase, O Muse, fait ce que tu veux, Est monté sur le blanc Pégase, En l'empoignant par les cheveux. 5 Au-dessus d'eux le ciel flamboie, Et le cheval fier et subtil Dit au poëte plein de joie: Où dois-je aller? Que te faut-il? Veux-tu le trône au dais de moire 10 Que l'homme regarde en rêvant, Ou ce vain murmure, la gloire, Qui s'éparpille dans le vent? Veux-tu suivre en ses nobles crimes La Guerre au souffle meurtrier, 15 Ou sur ton beau front plein de rimes Avoir l'ombre du noir laurier? Traversant la mer inféconde, Plus rapide que le zéphyr, Tu pourras dépouiller Golconde 20 Et cueillir les perles d'Ophir! Je puis te donner une Omphale Aux cheveux baisés par le jour, Et la richesse triomphale, Et ce que l'on appelle: Amour! 25 Et tu n'as qu'à parler, poëte, Pour vêtir de riches habits, Si tu veux boire un vin de fête Dans une coupe de rubis. En ta colère impétueuse, 30 Tu verras tomber sur ton flanc Une pourpre voluptueuse, Ayant le rouge éclat du sang. Tu peux tenir ma chevelure Qui frissonne en tes blanches mains. 35 Rien ne ralentit mon allure Et je connais tous les chemins. J'arrive, d'une aile guerrière, Jusqu'aux Dieux, sur le pavé d'or. Tout me cède, et nulle barrière 40 Ne peut arrêter mon essor. Je sais voler comme les aigles Et bondir comme les lions, Sans briser le rhythme et ses règles. Où te plaît-il que nous allions? 45 Ainsi parle, voix ingénue, Pégase, le hardi cheval Qui dans l'orage et dans la nue Devance l'éclair, son rival. Déchirant l'azur et le soufre, 50 Il dit encor, dans la rumeur Des astres, et dans l'or du gouffre: Où vais-je te mener, rimeur? Et le poëte, en ses prunelles Ayant le ciel oriental 55 Brillant de clartés éternelles, Dit: Tu sais bien. A l'hôpital! 3 septembre 1889.

SONNAILLES ET CLOCHETTES -- Table des Matières
Retour à la page Banville