LIX A Auguste Vacquerie

Ami, voici que ton poëme, Comme un oiseau baigné de jour, Vole, éperdu, vers le ciel même, En poussant de grands cris d'amour. 5 Armé de ta vertu première, Tu réclames, pour les maudits, Leur part de pain et de lumière Et le soleil des paradis. Il est temps de chasser la haine! 10 Sur le monde ressuscité La fille de Faust et d'Hélène Jette son regard enchanté. Futura, dans son attitude, Victorieuse du tombeau, 15 C'est la vie et la certitude, C'est la sérénité du Beau. Caressé par cette faunesse, O poëte, je t'ai connu A l'âge heureux où la jeunesse 20 Nous prête son rire ingénu. Et, combattant déjà robuste, Pour le pauvre, à tort châtié, Tu sentais dans ton âme juste Une inconsolable pitié. 25 Tu disais: Le fou dérisoire Marche comme un aveugle errant Qui titube dans la nuit noire. Pourquoi punir cet ignorant? Verse-lui plutôt l'ambroisie. 30 Qu'il savoure, comme un doux vin, La lecture et la poésie, Ce breuvage vraiment divin. Tu voulais que le sort morose Lâchât sa proie, et maintenant, 35 Tu veux encor la même chose, En ton poëme rayonnant. Et dans ton rêve prophétique Tu montres, vainqueur à son tour, Le Titan de la guerre antique, 40 Délivré du hideux vautour. Futura, bonne et charitable Ne rompra, de ses belles mains, Le pain du festin, qu'à la table Où s'assoiront tous les humains. 45 Et dans une tranquille gloire Apaisant ses yeux radieux, Elle fera manger et boire Tous les maudits et tous les Dieux. Mais avant qu'elle se décide, 50 Vierge vengeresse, il lui faut Tuer le combat fratricide Et briser le vil échafaud. Un jour, un jour, espoir sublime! Le glaive de flamme tuera 55 L'aveugle colère et le crime; Et, pour adorer Futura, Sur la terre, où la moisson mûre S'offre à l'oiseau pour se poser, On n'entendra que le murmure 60 Ailé, d'un immense baiser. Ce sera la tranquille fête De l'avenir victorieux, Et tu la vois déjà, poëte, Avec tes yeux mystérieux. 15 avril 1890.

SONNAILLES ET CLOCHETTES -- Table des Matières
Retour à la page Banville