I Ballade de ses regrets pour l'an mil huit cent trente

Je veux chanter ma ballade à mon tour! O Poésie, ô ma mère mourante, Comme tes fils t'aimaient d'un grand amour Dans ce Paris, en l'an mil huit cent trente! 5 Pour eux les docks, l'autrichien, la rente, Les mots de bourse étaient du pur hébreu; Enfant divin, plus beau que Richelieu, Musset chantait, Hugo tenait la lyre, Jeune, superbe, écouté comme un dieu. 10 Mais à présent, c'est bien fini de rire. C'est chez Nodier que se tenait la cour. Les deux Deschamps à la voix enivrante Et de Vigny charmaient ce clair séjour. Dorval en pleurs, tragique et déchirante, 5 Galvanisait la foule indifférente. Les diamants foisonnaient au ciel bleu! Passât la Gloire avec son char de feu, On y courait comme un juste au martyre, Dût-on se voir écrasé sous l'essieu. 10 Mais à présent, c'est bien fini de rire. Des joailliers connus dans Visapour Et des seigneurs arrivés de Tarente Pour Cidalise ou pour la Pompadour Se provoquaient de façon conquérante, 5 La brise en fleur nous venait de Sorrente! A ce jourd'hui les rimeurs, ventrebleu! Savent le prix d'un lys et d'un cheveu; Ils comptent bien; plus de sacré délire! Tout est conquis par des fesse-Mathieu: 10 Mais à présent, c'est bien fini de rire. Envoi. En ce temps-là, moi-même, pour un peu, Féru d'amour pour celle dont l'aveu Fait ici-bas les Dante et les Shakspere, J'aurais baisé son brodequin par jeu! 15 Mais à présent, c'est bien fini de rire. Janvier 1862.

TRENTE-SIX BALLADES JOYEUSES -- Table des Matières
Retour à la page Banville