Vénus couchée

D'un plus hault vol, d'aile mieux emplumée Ne la pouuoit rauir ce petit Dieu; Et ne pouuoit encor' en plus hault lieu, Ny en plus seur sa flamme estre allumée. Ioachim Du Bellay, Inscriptions. L'été brille; Phoebus perce de mille traits, En haine de sa soeur, les vierges des forêts, Et dans leurs flancs brûlés de flammes vengeresses Il allume le sang des jeunes chasseresses. 5 Dans les sillons rougis par les feux de l'été, Entouré d'un essaim, le boeuf ensanglanté Marche les pieds brûlants sous de folles morsures. Tout succombe: au lointain les Nymphes sans ceintures Avec leurs grands cheveux par le soleil flétris 10 Épongent leurs bras nus dans les fleuves taris, Et, fuyant deux à deux le sable des rivages, Vont cacher leurs ardeurs dans les antres sauvages. Dans le fond des forêts, sous un ciel morne et bleu, Vénus, les yeux mourants et les lèvres en feu, 15 S'est couchée au milieu des grandes touffes d'herbe Ainsi qu'une panthère indolente et superbe. Dénouant son cothurne et son manteau vermeil, Elle laisse agacer par les traits du soleil Les beaux reins d'un enfant qui dort sur sa poitrine, 20 Et tandis que frémit sa lèvre purpurine, Un ruisseau murmurant sur un lit de graviers, Amoureux de Cypris, vient lui baiser les pieds. Sur son beau sein de neige Éros maître du monde Repose, et les anneaux de sa crinière blonde 25 Brillent, et cependant qu'un doux zéphyr ami Caresse la guerrière et son fils endormi, Près d'eux gisent parmi l'herbe verte et la menthe Les traits souillés de sang et la torche fumante. Février 1841.

TABLE -- Table des Matières
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