A Théophile Gautier

O toi, Gautier! sage parmi les sages Aux regards éblouis, Toi, dont l'esprit vécut dans tous les âges Et dans tous les pays, 5 Tu fus surtout un Grec, et tu contemples De tes yeux immortels Les purs profils harmonieux des temples Dans les bleus archipels. Tu les aimas, les doux porteurs de glaive, 10 Plus forts que la douleur, Et dans le rêve où bouillonnait la sève De ta pensée en fleur, Tu fus rhapsode, et pour charmer les heures Chez les rois étrangers, 15 Tu leur chantas dans les hautes demeures Achille aux pieds légers. Tu modelas auprès de Polyclète, Car tu n'ignorais rien, Et tu sculptais des figures d'athlète 20 Avec ce Dorien. Sur les gazons où rit la marguerite, Des Dieux même enviés, Ta claire enfance apprit de Théocrite Les chansons des bouviers. 25 Avec Pindare aimant la sainte règle, Aux oiseleurs pareil, Tu fis monter les Odes au vol d'aigle Vers le rouge soleil, Et tu raillas avec Aristophane, 30 Par des mots odieux, Le philosophe indocile et profane, Vil contempteur des Dieux. Et maintenant qu'avec des pleurs moroses, Tristes, nous nous plaignons, 35 Tu reconnais sous les grands lauriers-roses Tes anciens compagnons. Pour que ta lèvre enfin se rassasie, Dans le festin charmant, Au milieu d'eux, tu goûtes l'ambroisie 40 En causant longuement. Auprès de toi le riant paysage Est fait comme tu veux, Et tu souris à côté de la sage Hélène aux beaux cheveux, 45 Qui déchaîna l'effroyable désastre Des guerriers et des rois, Et sa beauté resplendissante d'astre, A présent tu la vois! Novembre 1872.

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