Le Cavalier

Le roi hésite, mais il faudra bien que le vieux cheval marche encore! Paroles de M. de Bismarck. Il est bien las, le vieux cheval! Après les fêtes sans pareilles De son féroce carnaval, Il a du sang jusqu'aux oreilles. 5 A présent que ses durs sabots Ont piétiné dans la tuerie Et qu'il s'est soûlé de tombeaux, Il lui faudrait son écurie. Il regarde les vastes cieux, 10 Extasié comme un bon moine, Et lourd, immobile, anxieux, Il soupire après son avoine. Il rêve au gazon vert du parc Où le flot argenté ruisselle; 15 Mais son vieux cavalier Bismarck Sur son dos se remet en selle. Pâle, dans le flanc du coursier Que serrent ses genoux, il entre Son cruel éperon d'acier; 20 Il lui laboure son vieux ventre. L'écuyer, roide et sans défaut, Qui dans les entrailles lui plante Ce fer, dit: Crève s'il le faut, Mais poursuivons l'oeuvre sanglante. 25 Pour que nos vieux coeurs allemands Se repaissent de funérailles, Viens fouler sous tes pieds fumants Des cervelles et des entrailles. Écume et déchire ton mors! 30 Mais toujours, comme nous le sommes, Soyons des faiseurs de corps morts: Crève, mais foule aux pieds des hommes! Octobre 1870.

IDYLLES PRUSSIENNES -- Table des Matières
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