La Soirée

Lorsqu'en revenant du rempart Où, plein d'une foi chaleureuse, Il a bien veillé pour sa part, Le père quitte sa vareuse, 5 En voilà jusqu'au lendemain! Il t'oublie, aigre vent qui souffles Sur les talus, et, d'une main Réjouie, il met ses pantoufles. Après avoir dîné sans bruit, 10 Il regardera quelque estampe Ou bien lira jusqu'à minuit Aux douces clartés de la lampe, Avec sa femme et ses enfants, Amusant l'un d'eux sur sa jambe 15 Et voyant leurs fronts triomphants Luire aux clartés du feu qui flambe. Il caresse complaisamment Cette jeune et chère couvée Et suit avec un oeil d'amant 20 Sa compagne enfin retrouvée, Qui, charmante en sa floraison, Sous le clair regard qui l'admire Se promène dans la maison Qu'elle éclaire de son sourire. 25 Alors le père tout heureux Ne regrette ni les théâtres, Où des cailloux aventureux Ornaient de fausses Cléopâtres, Ni les cafés, plus laids encor, 30 Où des Phrynés aux blancheurs mates Flamboyaient sous leurs cheveux d'or, Comme des bêtes écarlates. Plus de cercles, où par monceau L'or tombait, et ruisselait comme 35 L'eau méprisable du ruisseau! La femme a retrouvé son homme, Et chacun reste avec les siens, Riant à l'enfant qui babille, Grâce à messieurs les Prussiens, 40 Qui nous ont rendu la famille! Octobre 1870.

IDYLLES PRUSSIENNES -- Table des Matières
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