XXXI Darcier

Nymphe dont l'oeil ébloui Semble un diamant, La Chanson perd aujourd'hui Son dernier amant. 5 Elle ne verra jamais Un autre Darcier, Et ne sait plus désormais Que balbutier. Oh! Darcier! je le revois! 10 Le rhythme précis Se dessinait dans sa voix Aux sons adoucis. Pourtant courbé sous le dieu, Pâle, ivre de jour, Il était brûlé du feu D'un immense amour. Peuple, du peuple fourbu Dévorant les pleurs, On eût dit qu'il avait bu 20 Toutes ses douleurs, Et de sa lèvre, ô tourment Providentiel! Pressé douloureusement L'éponge de fiel. Dans ses chants éblouissants De haine et d'orgueil, On entendait les accents Des mères en deuil, Judas, hypocrite et roux, 30 Comptant ses écus, Et les sanglots de courroux De tous les vaincus. Tous ces martyres hurlants, Tous ces pleurs, l'affront D'Eve, dont les flancs sanglants Toujours saigneront; Il en voulait en effet Prendre la moitié, Car ce génie était fait 40 Surtout de pitié. On entendait dans sa voix Qu'en vain nous pleurons, Des Marseillaises, parfois Des bruits de clairons, Le cri de la Vérité Superbe et fatal Et le regret irrité Du sombre Idéal. Aussi parmi nous fut-il, 50 Et nul n'a dit: non, Un artiste fier, subtil, Digne de ce nom, Donnant, ce consolateur, Pour nous enchanter, Le spectacle d'un chanteur Qui savait chanter! 28 décembre 1883.

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