LIV La Dame

Tandis que l'actrice brisée, Parmi ses blancs camellias Pleurait son amour méprisée; O toi, Muse qui la plias 5 A ton mystérieux délire, Tremblante, comme tu la vois; Et tandis qu'un frisson de lyre Passait dans sa mourante voix, Tout frémissait comme une houle. 10 Ces douleurs, ces parfums, ces fleurs Enchantaient l'âme de la foule; Tous les yeux étaient pleins de pleurs. Comme Marguerite, en sa fièvre, Sentait son regret la brûler, 15 Et de sa pâlissante lèvre Son souffle prêt à s'exhaler, Ouvrant une aile colossale, Comme un hôte mystérieux L'Ouragan entra dans la salle, 20 Avec ses souffles furieux. Et comme la fille charmante, Victorieuse du remord, Semblait dire: Je suis l'Amante Et la douce Vie et la Mort; 25 Courbant et prenant pour jouet Les éclairs du lustre et les flammes, Comme un Mercure sous son fouet Courbe le vain troupeau des Ames, L'Ouragan dit: Voix assassine, 30 Je suis l'orage essentiel Et l'haleine qui déracine Les grands chênes, voisins du ciel. C'est moi qui tords l'arbuste frêle Parmi des éclats fulgurants, 35 Et qui dans la même horreur mêle Des noirs rochers et des torrents. Pâles humains, vos pleurs, vos vies, Votre obscur poëme rêvant, Vos amours, d'angoisses suivies, 40 Sont comme la poussière au vent. Votre pensive tragédie, Palpitant devant un rideau, Fait, dans la nature assourdie, Moins de bruit qu'une goutte d'eau. 45 Sa plainte, pour qu'on l'applaudisse, Avait séduit l'âme et les sens; Elle était comme une Eurydice Proférant de divins accents. Elle emplissait l'air et l'espace 50 De sa fière modernité; Mais elle se tait quand je passe, Moi, la voix de l'éternité. 1er février 1884.

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