LXXXVI Le Bassin

Au Luxembourg, que je dis Beau comme le paradis, On a torturé les lignes Et le fantasque dessin 5 D'un capricieux bassin, Pour les canards et les cygnes. Les bleus canards du Japon Semblent sortis d'un crépon, Et forment un long cortège 10 A l'entour des cygnes blancs, Dont les ailes et les flancs Sont pareils à de la neige. Tout au beau milieu des eaux, Une île offre à ces oiseaux 15 Le gazon vert. Leur royaume Est fort exigu. Mais on Leur a fait une maison Basse, avec un toit de chaume. En leurs infinis loisirs, 20 Ils savourent les plaisirs Que l'oisiveté ménage; Et philosophes par goût, Les uns ne font rien du tout, Pendant que le reste nage. 25 Mais dans l'île, sur le bord Que l'eau caressante mord Et parmi les folles branches, Parfois, d'un mouvement fou, Les cygnes lèvent leur cou 30 Puis ouvrent leurs ailes blanches. Les grands cygnes fabuleux Et les petits canards bleus Respirent dans la nature Et, leur sens étant profond, 35 Ces êtres ailés ne font Jamais de littérature. C'est la joie, argent comptant. Certes, je serais content Si de tels bonheurs insignes 40 M'étaient seulement promis, O vous, canards, mes amis, Et vous, mes confrères, cygnes! 6 mars 1884.

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