XCVI Charivari Strophes dites par mademoiselle Reichemberg le 3 mai 1883 A la fête donnée chez Pierre Véron pour le cinquantenaire du Journal.

Parisiens! âme, sourire, Beauté pareille aux lys fleuri, Vous êtes tous, on peut le dire, Les amis du Charivari! 5 C'est un révolutionnaire, Dont nous allons, devoir bien doux, Célébrer le cinquantenaire. -- O ciel! mais alors, direz-vous, Il est vieux comme sainte Thècle, 10 Il a des ans subi l'affront! Oui, j'en conviens, un demi-siècle A passé vivant sur son front. Pourtant, sans peur et sans reproche, Fidèle au but essentiel, 15 Il est jeune comme Gavroche Et comme les moineaux du ciel. Marchant toujours où l'on avance, Où jamais l'espoir ne finit, Votre pensée est la Jouvence 20 Où sans cesse il se rajeunit. Toujours de ses prunelles claires Fixant les cieux d'où vient le jour, Il a vos espoirs, vos colères, Vos superbes élans d'amour. 25 Voyez sa chevelure blonde, Son regard de Suzanne au bain Et son allure vagabonde: Il a l'âge de Chérubin! Toujours haïssant le sévice 30 Des grands et des petits bourreaux, Contre la Sottise et le Vice Il s'escrime, comme un héros. Son sourire que rien ne fane Poursuit Turcaret dans son parc, 35 Et la flèche d'Aristophane S'envole en sifflant de son arc! Et les Judas, les vils Alphonses, Les filous dont l'oeil s'effarait, Tout ce qui rampe dans les ronces 40 Au bas de l'humaine forêt, Le délateur, le traître horrible Qui n'a pas connu la rougeur, Tremblent quand cet enfant terrible Leur apparaît, comme un vengeur! 45 Il est noble et, si l'on y fouille, Son passé fort bien réussi Vaut bien celui des La Trémouille Et des meilleurs Montmorency. Car toujours, pour calmer sa fièvre, 50 Cet ennemi des plats valets A trempé son ardente lèvre Dans le verre de Rabelais. Qu'il soit joyeux, nul ne le nie. C'est là sa gloire; mais parfois 55 Il eut avec lui le Génie, Ce grand Warwick faiseur de rois! Parisienne! blanche étoile Dont l'éclat n'est jamais terni, Ton charme divin se dévoile 60 Dans tout l'oeuvre de Gavarni. Ce symphoniste philosophe A su dérouler les accords De la mystérieuse étoffe Sur les lignes de ton beau corps, 65 Et mieux que tous, il a su comme L'émail de tes petites dents, Empressé de mordre la pomme, S'enfonce avec amour dedans! Daumier que la Satire mène, 70 Avec les Juvénals frayant, A peint la Comédie Humaine Ainsi qu'un Balzac effrayant; Et sous un pantalon précaire Ivre de dandysme et d'orgueil, 75 A montré son Robert Macaire Avec le bandeau noir sur l'oeil! Puis, raillant la sottise plate, Vint le gai, l'ingénieux Cham, Dont la plaisanterie éclate, 80 Folle comme un coup de tam-tam! Mais c'est fini des épopées. Des cocottes, pâles comme eux. Invitent à leurs priapées Un tas de funèbres gommeux. 85 Leur moisson qui n'était pas grasse, Toujours s'appauvrit; mais Grévin A su trouver la triste grâce De tout ce monde maigre et vain; Et nul n'a mieux peint les allures 90 Des insidieuses Laïs Éparpillant leurs chevelures Couleur de rose et de maïs. Ainsi sous leur crayon s'allume Tout un monde prodigieux. 95 Voilà qui va bien. Mais la plume? Elle a fait aussi de son mieux. En ses colères indignées, Charivari nargue le temps; Il a des verges à poignées, 100 Encor pour au moins cinquante ans. Puis il aura le vent en poupe Si votre amitié lui sourit, Car, comme Riquet à la Houppe, Vous savez donner de l'esprit! 105 Donc, vous tous, buveurs d'ambroisie Qui dédaignez le vin banal, Aimez-nous, ô foule choisie! Et, saluant votre journal, Pour fêter son cinquantenaire, 110 Qu'un applaudissement nourri Fasse, avec un bruit de tonnerre, Un immense -- charivari! 27 avril 1883.

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