OCCIDENTALES 1855-1874 Écoute: quand d'Allah la puissance féconde Jadis pour ses enfants a fait deux parts du monde, Aux Arabes qu'il aime il dit en souriant: Vous êtes mes aînés, et voici l'Orient: Cette terre est à vous de Tanger à Golconde, Et vous l'appellerez le paradis du monde. Puis, d'un oeil de courroux ensuite regardant Vos pères, il leur dit: Vous aurez l'Occident. Alexandre Dumas, Charles VII. A PIERRE VERON Vous le savez, mon cher ami, j'avais composé tout jeune encore, pour quelques poëtes et pour moi, les premières esquisses, plus tard augmentées, dont le caprice d'un ami, d'un éditeur artiste, Poulet-Malassis, a fait les Odes funambulesques. Mais, le livre une fois publié, j'avais bien résolu d'en rester là. Content d'avoir fait pressentir le parti immense que la langue française pourrait tirer de l'élément bouffon uni à l'élément lyrique, je voulais me borner à l'avoir indiqué, laissant à un héritier d'Aristophane et du grand Heine (s'il en doit venir) la gloire de réaliser ce que j'avais seulement osé entrevoir. Mais qui de nous fait jamais ce qu'il s'est proposé de faire? Une première fois, j'ai manqué à la parole que je m'étais donnée, en écrivant, à la prière de mon cher ami Gustave Bourdin, pour Le Figaro hebdomadaire, quelquesunes des odes qui composent ce volume, et je me disais à part moi: Je ne ferai pas un pas de plus! Cependant vous m'avez demandé, et je n'oublierai jamais avec quelle grâce, d'écrire pour vous des Occidentales, à un âge, hélas! où l'on a désappris le sourire. Vous me disiez avec raison que nos orateurs et nos gommeux de 1867, habillés à l'anglaise et coiffés en coup de vent, ne le cèdent en rien, comme comique, à leurs aînés de 1849: et moi, comment aurais-je refusé de donner à mes croquis la consécration de ce Charivari étincelant de verve satirique et bouffonne, qui est leur patrie naturelle? S'il m'était permis de reprendre pour un jour le luth écarlate sur lequel fredonna si follement en rimes d'or ma première jeunesse, n'était-ce pas dans ce journal, où vous faites chaque jour et sans compter, vous et vos collaborateurs, une si prodigieuse dépense d'esprit, menant à bout, comme en vous jouant, une tâche effroyable, et où les Daumier, les Gavarni, les Grandville, les Cham, les Henri Monnier ont écrit page par page un commentaire indestructible de la Comédie politique et de la Comédie humaine? Du moins j'aurais dû laisser dans le journal ces feuillets écrits à la hâte, et ne pas leur imposer la redoutable épreuve du livre. Mais voici maintenant mon cher éditeur Alphonse Lemerre qui en décide autrement, et qui dit avec raison que je lui appartiens. Forcé de laisser réimprimer nos Odes, je ne vois qu'un moyen d'obtenir pour elles l'indulgence du public: c'est, mon cher ami, de vous les dédier, chose si juste d'ailleurs, puisqu'elles ont été écrites pour vous et qu'elles sont à vous. Les lecteurs ont si accoutumé d'associer à votre nom l'idée de succès que mon livre profitera peut-être ainsi de leur habitude prise: c'est du moins l'espoir dont se berce assez étourdiment votre collaborateur et ami dévoué. Théodore de Banville. Paris, le 10 avril 1869.

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