A Charles Asselineau

Vainement tu lui fais affront, Votre brouille m'amuse, Car je reconnais sur ton front Le baiser de la Muse. 5 Tout est fini, si tu le veux; Mais que le vent les bouge, Vite on le voit sous tes cheveux, La place est encor rouge. Tu fuis le bois des lauriers verts 10 Et la troupe des cygnes, Et, pour mieux laisser l'art des vers A des chanteurs plus dignes, Tu ne t'égares plus jamais Sous la lune blafarde. 15 La modestie est bonne, mais Cette fois prends-y garde! Par ces scrupules obligeants, Trop souvent on condamne La fée amoureuse à des gens 20 Coiffés de têtes d'âne. Firdusi ne vit plus à Thus! Toutes les nuits un ange Vient baiser les fleurs de lotus Aux bords sacrés du Gange; 25 L'hyacinthe frissonne encor Dans les clairières lisses; Toujours, faisant du soleil d'or Les plus chères délices, La rose à sa douce senteur 30 Enivre Polymnie, Mais je connais plus d'un auteur Qui n'a pas de génie! Viens! ne laisse pas galamment Notre gentille escrime 35 Aux sots, privés également De raison et de rime. Au moins, reprends notre lien Pour une année entière! Et d'ailleurs, ami, tu peux bien 40 Chez le vieux Furetière Errer comme en un Sahara; Acheter et revendre Des bouquins; Érato saura Toujours où te reprendre! 45 Au mois où s'ouvrent les boutons, Tous ceux qui l'ont aimée Reviennent comme des moutons Sur sa trace charmée. Or, justement, pris à l'attrait 50 De mes rimes prolixes, J'entends errer dans la forêt Les elfes et les nixes; Et, dans le parc où nous songeons, La sève, dont la force 55 Croît, gonfle déjà les bourgeons Prêts à rompre l'écorce. Mai 1855.

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