La Tristesse d'Oscar.

Jadis le bel Oscar, ce rival de Lauzun, Du temps que son habit vert pomme était dans un État difficile à décrire, Et qu'enfin ses souliers, vainqueurs du pantalon, 5 Laissant à chaque pas des morceaux de talon, Poussaient de grands éclats de rire; Du temps que son coachman, pâle comme un navet, Se recourbait en plis tortueux, et n'avait Plus de collet d'aucune sorte, 10 Aucun collet, pas même un collet... né Révoil, Et que son vieux chapeau, tout dépourvu de poil, Prenait des tons de colle-forte; O misère! du temps que, tournant au lasting, Son pantalon, pareil aux tableaux de Drolling, 15 Avait ce vernis dont tu lustres Le gilet fabuleux de Fontbonne et son frac, Le bel Oscar disait à Paulin Limayrac, Publiciste âgé de deux lustres: « Dieu! que ne suis-je assis dans le Palais-Bourbon! 20 Quand pourrai-je appeler Ledru-Rollin: Mon bon! Et dire en voyant Buloz: Qu'est-ce? Et puis n'entendre plus dans quelque affreux recoin Ce monstre me crier: Tu n'iras pas plus loin! Quand je veux passer à la caisse. 25 Paulin! si je payais le cens, ah! tu le sens, Je connaîtrais aussi ces billets de cinq cents Qui sont les pommes de nos Èves, J'aurais le rameau d'or qui dompte les tailleurs, Et je verrais enfin des chemises ailleurs 30 Que parmi l'azur de mes rêves! Oui! je ferais remettre un verre à mon lorgnon! Paulin, j'échangerais ma panne et mon guignon Contre l'aisance fantastique Du baron de Rothschild, et, gagnant à ce troc, 35 Je peignerais alors mes moustaches en croc Et j'y mettrais du cosmétique! Je dînerais chez Douix! J'aurais des gants serins Pour poser au balcon des théâtres forains, Et, profitant de son extase, 40 J'abreuverais de luxe et de verres de rhum Une divinité, reine des Délass-Com, De Montmartre ou du Petit-Laze! » Ainsi parlait Oscar, l'âme et les sens aigris, Du temps qu'il arborait ces vastes chapeaux gris 45 Empruntés à d'anciens fumistes, Et que, plein d'amertume, il nettoyait ses gants Avec ces procédés beaux, mais extravagants, Qui sont la gloire des chimistes. Il parlait, et ses yeux imitaient des poignards. 50 Aujourd'hui, grâce aux voix de cinq cents montagnards, Le voilà sorti de l'ornière Et Bignan le célèbre en d'officiels chants; C'est la rosette rouge et non la fleur des champs Qui fleurit à sa boutonnière. 55 Il rayonne, il est mis comme un notaire en deuil. Et cependant toujours parmi l'or de son oeil Brille une perle lacrymale; Il erre, les regards cloués sur les frontons, Triste comme un bonnet, ou comme ces croûtons 60 De pain que nous cache une malle! Quel rêve peut troubler ce moderne Samson, Qui sur le nez des siens pose, comme l'ourson, Des discours carrés par la base, Qui d'un pantalon vert couvre ses tibias, 65 Et qui dans les divers patois charabias Éclipse Charamaule et Baze? Ah! quelque fiel toujours gâte notre hydromel! Oui, quelque chose encore attriste ce Brummel Qui, mettant chaque Amour en cage, 70 Effaçait les exploits du chevalier d'Éon! Voilà ce qui l'agace: hier à l'Odéon Un voyou l'a pris pour Bocage! Juin 1848.

ODES FUNAMBULESQUES -- Table des Matières
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