Les Jardins

Mère, qu'il soit béni, le grand jardin de fleurs Qui vit, petite enfant, ton sourire et tes pleurs! Là, ta mère aux beaux yeux, jeune et pleine de grâce Te chantait des chansons de nourrice à voix basse; 5 Ton père, sérieux, te prenait dans ses bras, Et t'écoutant, ravi, dès que tu murmuras, Disait: O frêle enfant! il faut veiller sur elle. Et c'était entre eux deux une folle querelle De lutter pour donner une joie à tes yeux, 10 Et de savoir lequel t'obéirait le mieux. O Dieu! le temps s'envole ainsi que des fumées, Emportant loin de nous les âmes bien aimées, Nos rêves, nos désirs, tout ce qui nous fut cher. Le froid du soir qui tombe entre dans notre chair, 15 Et cependant toujours les voix qui nous émurent Comme en un vague songe autour de nous murmurent; Elles ont la douceur sereine de l'espoir Et nous les entendons qui disent: Au revoir! Nos Anges, dans cette ombre où notre pas vacille 20 Nous regardent souffrir d'un oeil doux et tranquille Et tandis que leur vol mystérieux nous suit, Au-dessus de nos fronts envahis par la nuit Nous voyons l'avenir sortir d'un sombre voile Sous la nue, et grandir comme une blanche etoile. 25 Oh! sois heureuse! et quand frémit l'aile du soir, Songe aux chers coeurs avec le plus tranquille espoir, Car un pressentiment céleste nous enivre Dans cette solitude où nous les sentons vivre. 16 février 1874.

ROSES DE NOEL -- Table des Matières
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