XXXIX Concurrence

Là-haut gronde un orage. Le soleil plein de rage Semble s'extasier Dans un brasier. 5 Le turbulent tonnerre Célèbre un centenaire Au milieu des éclairs Ardents et clairs. A quelle oeuvre inconnue 10 Travaillent dans la nue Les Chérubins riants Des Orients? Ces faiseurs de poëmes Ouvrent, comme nous-mêmes, 15 Une Exposition Dans leur Sion. On y vient du nocturne Sirius, de Saturne, De Vénus tout en feu 20 Dans l'azur bleu, Et de l'ombre où fulgure, Détachant sa figure Dans l'éther de safran, Aldébaran. 25 Le Berger des étoiles A dans ses larges toiles Emprisonné divers Grands univers. Là, tendant leurs échines, 30 D'invincibles machines Font mouvoir les vermeils Coeurs des Soleils. Puis, des fontaines vives Dans leurs eaux convulsives 35 Roulent des firmaments De diamants. La chevelure d'Eve Et sa bouche de rêve Les ont teintes de leurs 40 Tendres couleurs, Et des jardins étranges Fleurissent, dont les Anges Ailés et triomphants Sont les Alphands. 45 Là naissent, blancs et lisses, Ouvrant leurs purs calices Près des amaryllis, D'immenses lys, Et des roses farouches, 50 Pareilles à des bouches Que tout baise à l'entour, Disent: Amour! Parmi l'or des fournaises Dansent des Javanaises 55 Venant d'une Java Où nul ne va. Mille milliers de rimes S'éparpillent, sublimes, En un glorieux chant; 60 Et se penchant Vers les grands téléphones, Hurlent des Tisiphones Et parlent en mots fins Les Séraphins. 65 Dans la nue électrique, Dieu, puissamment lyrique, Lutte avec Edison A sa façon; Et de ses mains profondes, 70 L'ingénieur des mondes Construit dans le plein ciel Sa Tour Eiffel! 9 juillet 1889.

SONNAILLES ET CLOCHETTES -- Table des Matières
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