LVIII Avril

Oh! sois le bien venu, Printemps, Ami joyeux qui nous accueilles! Fais voler tes cheveux flottants Sous ton riant chapeau de feuilles. 5 Voici le doux mois, cet Avril Qui sur l'asphalte, en son extase, Fait briller le chrysobéryl Et flamber la jaune topaze. Mille rameaux pleins de bourgeons 10 Préparent leur folle parure, C'est pourquoi, mes amis, songeons A dépouiller notre fourrure. Serrés par de légers vestons Et de clair soleil idolâtres, 15 Les hommes, comme des festons, Vont briller en taches folâtres. Les Halles offrent leurs primeurs. On peut admirer les asperges Grosses, pour charmer les rimeurs, 20 Comme des bras de jeunes vierges. Pareille aux flammes d'un brasier, Eve, la jeune fleur éclose, Sent, comme un bouton de rosier, S'épanouir sa gorge rose. 25 Plus grisante que les raisins, Elle va, par un art insigne, Dans les divers Grands Magasins Acheter sa feuille de vigne. Prête à payer d'un seul radis 30 Le philosophe ennuyeux, comme Autrefois, dans le paradis, Elle aspire à manger la pomme. O psychologue, esprit ouvert! Même, il faudrait que tu la visses 35 Grignoter, avant ce fruit vert, Un tas de rouges écrevisses. Pendant ces jours aventureux, Le Printemps, secouant ses ailes Sur tous les nids des amoureux, 40 Dit: En classe, mesdemoiselles! Cernay, c'est le pays charmant Où l'on dit à Rose: Qu'a-t-elle? Irisé, le blanc diamant Ruisselle de la cascatelle; 45 Et Corot, qui fut dans le vrai, Donne, en guirlandes ingénues, Aux coteaux de Ville-d'Avray Un choeur de Nymphes toutes nues. Un pays vraiment enjoué 50 Vit dans la maritime Asnières, Où l'on dit que parfois Chloé Subit les injures dernières. Là d'aventureux matelots, Prodigues du temps qui s'envole, 55 Emportent sur l'azur des flots Des personnes d'un goût frivole; Et, leurs beaux seins gonflés d'amour, Les vagues apaisent l'orchestre De leurs orageux sanglots, pour 60 Écouter les vers de Silvestre. Nous sommes las de réfléchir: Que notre âme enfin s'extasie! Doux Printemps, viens nous rafraîchir Avec ton souffle d'ambroisie. 65 Vous voilà mûrs pour le repos, Esprit banal qui nous écoeures, Vaudeville enflant tes pipeaux, Et vous aussi, thés de cinq heures. 1er avril 1890.

SONNAILLES ET CLOCHETTES -- Table des Matières
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